Le Front Populaire, nouveau cri d’Onfray

Jamais avare de critiques et n’ayant pas sa langue dans sa poche, Michel Onfray a décidé de créer une nouvelle revue qui doit réunir les souverainistes de tout bord. Son nom n’a pas été choisi par hasard mais sa teinte politique risque d’être différente de son prédécesseur.

Et si l’abandon de la « souveraineté nationale » a conduit à la situation délicate que vit actuellement la France suite à la pandémie du COVID-19 ? Michel Onfray part de ce postulat pour créer le nouveau « Front Populaire ». Ses contributeurs laisseraient-ils craindre, plutôt, un front populiste… ?

Une enfance marquée par le fer « rouge »

Le « philosophe d’Argentan » tire ses racines dans le prolétariat comme il aime le rappeler. Elevé dans un petit village de Normandie par un père ouvrier agricole et une mère femme de ménage, le socialisme voire le communisme séduisent le jeune Onfray. A 16 ans, il est proche de s’encarter au PCF quand il découvre finalement la revue Noir et Rouge. Un magazine anarchiste qui l’envoie dans les bras de la pensée de Pierre-Joseph Proudhon [1]. Une révélation pour Michel Onfray, qui ne cesse depuis de clamer que Proudhon est sa gauche. 

La philosophie le passionne. Il dévore les écrits de Nietzsche, d’Aristippe de Cyrène et de bien d’autres encore et finit par se caractériser comme hédoniste [2]. La matière le passionne tellement qu’il finit par l’enseigner au Lycée technique de Saint-Ursule à Caen à partir de 1983. Pendant 20 ans, il essaie de transmettre sa passion à ses élèves mais constate surtout les écueils de l’apprentissage de cette thématique. Il s’insurge de plus en plus quand il remarque que les notes moyennes au baccalauréat de sa matière chutent et que l’Etat français ne fait rien pour la remettre au goût du jour. Alors il publie son « Anti-manuel de Philosophie » où par le biais de la vulgarisation il veut faire profiter un savoir qui n’est pas réserver à une élite scolaire. 

Peu de temps après il démissionne de son établissement mais pour embrasser une cause bien plus forte : la création de l’Université Populaire à Caen afin de faire barrage aux idées du FN. Traumatisé par le 21 avril 2002, Onfray ne veut pas qu’un parti extrémiste accède aux plus grandes fonctions de la république en manipulant l’esprit de la population. Ce type d’université a pour but de cibler les catégories sociales éloignée de l’apprentissage de la culture, et de former une opinion éclairée par la raison universitaire. Elles sont gratuites, ouvertes à tous les publics, sans inscription ni prérequis. L’entreprise est un succès et il poursuit dans cette voie avec celle du goût puis du théâtre. 

De dérapages contrôlés… 

L’agitateur local qu’est Michel Onfray acquiert une renommée nationale à partir de 2005. La parution de son « Traité d’athéologie » provoquent l’ire de plusieurs théologiens qui se sont exprimés sur le journal « La Croix », dénonçant l’absence de rigueur de la pensée d’Onfray et la tentation démagogue à laquelle il succombe. Qu’importe les pics que certains peuvent lui lancer, le philosophe est un libertaire profondément athée et personne ne lui imposera sa façon de penser. Il laisse les lecteurs comme seul juge de son travail et comme son livre se vend à 370 000 exemplaires…

Trois ans plus tard c’est la profession qui s’attaque à lui quand il écrit « Songe d’Eichmann » où il cherche à disqualifier la pensée kantienne. Dans cet ouvrage, Adolf Eichmann, ancien dignitaire nazi, dialogue avec Kant le soir précédant son exécution. Par la pensée du philosophe, il arrive à justifier ses actes. Mais Claude Obadia, professeur à l’Université de Cergy-Pontoise, lui rappelle que nonobstant le fait que la philosophie kantienne préconise l’obéissance aveugle, elle affirme également le droit du savoir face au pouvoir. Par conséquent elle ne pourra jamais justifier les adeptes de la solution finale. 

Les critiques s’abattent une nouvelle fois sur Onfray en 2010 lors de la parution du « Crépuscule d’une idole ». Le natif d’Argentan réalise un pamphlet contre Sigmund Freud et l’accuse d’homophobie, de prédateur sexuel, admirateur du régime de Mussolini et complice du régime hitlérien par sa théorisation de la pulsion de mort. La psychanalyste Elisabeth Roudinesco s’étrangle à la lecture et qualifie le livre d’Onfray comme un brûlot truffé d’erreurs et traversé de rumeurs. Comme à son habitude, l’ancien professeur n’en a que faire des remarques et note que « dès que l’on touche à Freud, certains partent au combat pour entretenir les mythologies ». Ses travaux s’attaquent principalement à ses pairs et donnent l’impression qu’Onfray s’est lancé dans une guerre qu’il compte bien gagner.

…A radicaux

L’attrait de la joute verbale le fait franchir une limite quand, en 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, il se demande sur France 2 : « Est-ce qu’il y a une différence de nature entre un musulman pacifique et un terroriste ou une différence de degré ? ». Les critiques pleuvent et la bête médiatique qu’est Onfray semble touchée puisqu’il publie deux livres, « Penser l’Islam » et « Le Miroir aux alouettes », une autobiographie politique, dans lesquelles il répond à ses détracteurs. Il tire à balles réelles et ses cibles sont Manuel Valls, Libération, le PS et, plus largement, le politiquement correct. 

Mais la frontière est clairement franchie deux ans plus tard dans « Décadence ». Onfray dépeint une vision apocalyptique de la fin de la civilisation « judéo-chrétienne » à cause de la menace musulmane et des errements du christianisme. Encore une fois la partialité de sa vision et ses errements historiques lui sont reprochés. Il n’hésite pas non plus à voler au secours de personnalités comme Éric Zemmour et Michel Houellebecq – qui pour lui représentent les derniers chantres de la liberté d’expression – lorsqu’ils dressent le même portrait d’un islam foncièrement mauvais et conquérant.

Quitte à paraître réactionnaire, il s’en prend par la suite à Greta Thunberg. Il affuble du surnom de Greta la science, ne voyant en elle qu’un cyborg froid et sans émotion, répétant sans réfléchir le discours du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ou GIEC). Lorsque l’activiste suédoise s’était présentée devant l’Assemblée Nationale pour rappeler à tous ses membres la nécessité de changer de comportement pour sauver la planète, Michel Onfray a vu dans les applaudissements la jouissance que certains ont à être humiliés par des maîtres fascistes, bruns, rouges, noires, islamistes ou verts.

Un front populaire adoubé par un ancien Front…

Exaspéré par le diktat de la bonne conscience, Michel Onfray décide de fonder sa propre revue, sans utilisation de la publicité et grâce aux financements de contributeurs. Sous l’étendard du souverainisme [3], seule solution pour lui de sortir de la crise du COVID-19 et d’en éviter bien d’autres, le philosophe d’Argentan rêve de réunir des personnalités issues de la droite comme de la gauche. 

Les premiers à répondre positivement à l’appel sont Philippe de Villiers et Jean-Pierre Chevènement, deux personnalités fortement liées à ce courant politique. Puis sont rapidement annoncés Didier Raoult, l’infectiologue devenu superstar, Céline Pina, connue pour ses prises de position polémique sur l’islamisme et l’ancienne Gilet Jaune Jacline Mouraud. Le dernier arrivé en date, Idriss Aberkane, débarque aussi avec son lot de polémiques pour falsification de son CV. Tout ce petit monde se retrouve dans la catégorie « auteur » et aura le droit bientôt – la première parution est datée pour Juin 2020 – à une tribune et des articles.

Du côté des contributeurs, la présence de Robert Ménard, de l’identitaire breton Yann Vallerie, du patron d’un observatoire (d’extrême droite) des médias, Claude Chollet, et de Philippe Vardon, ancien du Bloc identitaire, fait grincer des dents quand on songe à la représentation symbolique du Front Populaire. Même si le philosophe déclare qu’il faut bien séparer les deux mots, la confusion qu’il sème dans les esprits pourrait amener le lecteur à douter de la clarté de son engagement. 

Aurélien Bayard

[1] Philosophe du XIXème siècle. Sa pensée repose sur plusieurs principes : anarchie, antireligion, anticapitalisme, antiétatisme, anti-autoritarisme, fédéralisme politique et économique. Il est le penseur d’une anarchie « positive » c’est-à-dire qu’il n’est pas révolutionnaire. Il refuse tout gouvernement, tout État, ainsi d’ailleurs que le suffrage universel. Les gouvernements sont responsables du désordre et, à ses yeux, seule une société sans gouvernement serait capable de restaurer un ordre naturel et une harmonie sociale.

[2] Philosophie selon laquelle la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance constituent le but de l’existence humaine. Les plaisirs de l’existence prennent différentes formes et peuvent aussi bien être la recherche de la noblesse d’âme, le savoir et les sciences en général, la lecture, la pratique des arts et des exercices physiques, le bien social, que l’amitié, la sexualité…

[3] Le mot « souverainisme » est apparu sous la plume de Paul-Marie Coûteaux. Militant socialiste, il devient par la suite député européen sur une liste conduite par Charles Pasqua et Philippe de Villiers, avant de se rapprocher du Front national. Coûteaux s’opposent à l’abandon de la souveraineté nationale dans le cadre de la construction européenne car l’Etat-nation doit rester le cadre politique et économique ainsi que le vecteur de la démocratie. Le souverainisme dénonce en particulier la politique économique menée par l’Union européenne, comme contraire aux intérêts de l’emploi industriel en France. En ce sens, les souverainistes de droite peuvent rejoindre les positions adoptées par les anti-mondialistes, situées à gauche ou à l’extrême gauche.

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