Robert Herbin, l’étoile verte s’en est allée

Robert Herbin, à gauche, entraîneur mythique de l’époque dorée de l’AS Saint-Etienne. Crédit : Wikipédia

Dans l’imaginaire collectif, Robert Herbin est associé à deux couleurs. Tout d’abord l’orange, teinte de sa chevelure reconnaissable entre mille. Puis le vert, celle de son club de cœur, l’AS Saint Etienne. Lundi soir, à 81 ans, la légende du Forez a rejoint les champs Elyséens…

Il fallait un successeur au grand Stade de Reims d’Albert Batteux. Un club capable d’enchaîner les titres nationaux et de faire vibrer les foules dans la reine des compétitions européennes, la Coupe des Clubs Champions. Sous l’impulsion de Robert Herbin, les Verts sont devenus cette équipe mythique. L’histoire aurait pu être différente car, hormis une domiciliation quai de Loire durant son enfance parisienne, rien ne prédestinait Robert Herbin à finir dans le Forez.

L’occasion manquée de Nice

Le clan Herbin comptait déjà dans ses rangs un joueur professionnel, mais de trombone. Le père maîtrise l’imposant cuivre et ses qualités lui ouvrent les portes de l’Opéra de Nice en 1947. La petite famille quitte donc le cocon parisien, direction les Alpes-Maritimes. « Robbie », à l’instar de son frère aîné Paul, se prend d’affection pour le ballon rond et ils rejoignent le Cavigal Nice Sport. Sous la houlette de Robert Rémond, le cadet se révèle être le plus talentueux des deux. Les recruteurs de tout le pays se pressent alors pour voir la merveille des équipes juniors. Racing club de Paris, Olympique de Marseille, AS Saint-Etienne, les plus grands clubs veulent faire main basse sur le demi-défensif. Pierre Garonnaire, recruteur de l’ASSE, se fait le plus pressant et obtient la signature du prometteur milieu en 1957. 

Dès ses premières apparitions sur le rectangle vert, le jeune homme s’épanouit au sein de l’entrejeu stéphanois. Frappe de mule, jeu aérien monstrueux, il est donc normal de le retrouver sous le maillot de l’Equipe de France pour le premier championnat d’Europe de 1960. Sa première sélection est la demi-finale mythique entre la Yougoslavie et la France où les Bleus s’inclinent malheureusement 5-4. En 1962, l’AS Saint-Etienne vit une saison compliquée. Alors que les Verts s’offrent une belle épopée en coupe de France, ils enchaînent les déconvenues en championnat. Tant est si bien que lorsqu’ils arrivent en finale face à Nancy, les stéphanois se savent déjà relégués. Dans un sursaut d’orgueil, le club forézien l’emporte mais la question du prochain exercice est dans toutes les têtes. Et l’idée de jouer dans l’antichambre de la D1 emballe très peu…

Profession homme à tout faire

Roger Rocher, président du club depuis un an, embauche Jean Snella, l’entraîneur qui a permis aux Verts d’obtenir leur premier titre de champion de France en 1957. Il arrive à convaincre tout ce petit monde de rester avec comme objectif annoncé une remontée express. Le plan se déroule sans accroc pour les stéphanois qui retrouvent la D1 l’année suivante. De retour dans l’élite française, ils se payent même le luxe de remporter le championnat. Robert Herbin est un des principaux artisans de ces succès. Homme à tout faire de cette équipe, il porte le brassard de capitaine et sa polyvalence l’amène à occuper pratiquement tous les postes sur le terrain. L’ère Snella se clôt sur un nouveau titre de champion en 67 et c’est le grand Albert Batteux qui le remplace.

Roger Rocher voit donc grand. Batteux, c’est l’homme qui a fait connaître Stade de Reims à l’Europe du football et qui a obtenu une sublime troisième place à la Coupe du Monde 1958. L’idylle prend et les succès s’enchaînent. Un doublé coupe de France-championnat en 68 puis 70 et « seulement » champion de D1 en 69. La carrière de Robert Herbin prend un nouveau tournant en 1972. Suite à une bisbille avec le président Rocher, Albert Batteux voit son contrat ne pas être renouvelé et quitte le Forez. Le dirigeant stéphanois va voir son capitaine et lui conseille de troquer les crampons pour le survêtement d’entraîneur. Herbin hésite, à 33 ans il a encore des fourmis dans les jambes mais finit par accepter la proposition suivant quelques conditions : un contrat de 4 ans et une équipe basée sur le centre de formation. 

Inspiration ajacide

Herbin s’est inspiré de ce qui se faisait le mieux à l’époque : le football total de Rinus Michel. A la tête de l’Ajax, le technicien hollandais règne sur le monde du football par sa tactique mais aussi grâce à la présence d’un jeune nommée Johan Cruyff. Le nouvel entraîneur des Verts veut réaliser les mêmes exploits. Il s’appuie sur les joueurs vainqueurs de la Coupe Gambardella 1970 comme Patrick Revelli, Jacques Santini ou Alain Merchadier, auxquels s’ajoutent les pépites Gérard Janvion et Dominique Rocheteau. Pour encadrer ces jeunes pousses, la mission est confiée à Gérard Farison, Jean-Michel Larqué et Ivan Curkovic. La mayonnaise prend et deux ans plus tard Herbin remporte un nouveau doublé coupe-championnat. Une confiance réciproque s’établit entre Herbin et ses joueurs. « J’ai pour habitude de demander à mes joueurs de jouer selon leur inspiration. Ce sont les joueurs, dès qu’ils sont en possession du ballon, qui doivent imaginer les actions qu’ils vont accomplir pour surprendre l’adversaire » confie-t-il en interview. 

Si le maillot Manufrance devient aussi mythique c’est aussi pour les exploits en coupe d’Europe de la bande à Herbin. A l’automne 74, l’ASSE se retrouve en 8ème de finale de la Coupe des Clubs Champions. Pour accéder au tour suivant, elle doit passer sur le corps de l’Hajduk Split. Le match aller est désastreux et se finit sur une lourde défaite 4-1 en terre croate. Alors pour la seconde manche, le stade Geoffroy Guichard rentre en ébullition pour soutenir ses troupes et devient définitivement « le Chaudron ». La folle remontée a bien lieu et les stéphanois terrassent leur adversaire du soir 5-1. L’épopée s’arrête en demi-finale face au Bayern Munich, futur vainqueur de l’épreuve. 

Glasgow comme apogée

Herbin se console alors avec la coupe nationale et le championnat. Il en profite même pour disputer le dernier match de la saison 74-75. Alors que le titre est déjà dans l’escarcelle verte, Larqué et consort blaguent avec leur entraîneur. Pour So Foot en 2016, l’ancien compère de Thierry Roland confie que « par amusement, on lui avait suggéré de disputer ce match, et à notre grande surprise, il avait accepté ». L’idée n’est pas saugrenue, le technicien n’a que 36 ans et participe toujours aux entraînements. Alors Robbie rechausse les crampons, fixe le brassard de capitaine sur son bras gauche et prend position en défense centrale. La belle histoire continue quand un pénalty est sifflé à la 78ème, les joueurs envoient leur coach en première ligne. Herbin ne se débine pas et transforme la sentence. Depuis, il est toujours le seul entraîneur-joueur à avoir marqué lors d’un match.

Qui dit titre, dit retour en Coupe des Clubs Champions. La coupe aux grandes oreilles continue d’enivrer les Verts qui s’offrent un nouveau match d’anthologie. En quart de finale, ils se retrouvent face au Dynamo Kiev d’un autre entraîneur mythique : Valeri Lobanovski. Défait 2-0 en Ukraine, le club du Forez profite une nouvelle fois de son antre pour renverser la vapeur. Les stéphanois claquent un 3-0 et, pour la deuxième année consécutive, arrivent en demi-finale. Malgré la folie ambiante, Robert Herbin reste impassible. La joie est tellement intériorisée que la presse française le surnomme le Sphynx. L’ASSE passe ensuite sans encombre l’obstacle du PSV Eindhoven et composte son billet pour une finale à Glasgow. Sur sa route se dressent de nouveau le Bayern Munich de Beckenbauer et de Gerd Müller. Malheureusement la chance choisit son camp. Malgré deux frappes sur ces maudits poteaux carrés, la balle ne franchit pas le but gardé par Sepp Maier. En revanche Franz Roth trompe bien Curkovic sur un coup-franc indirect. Ce sera l’unique but de la partie. 

Une fin dans un relatif anonymat

La presse internationale loue ces beaux perdants et fustigent les munichois. A leur retour dans l’Hexagone, les Verts remontent la plus belle avenue du Monde entourés de centaine de milliers de supporters, puis sont reçus en grande pompe par le président Valery Giscard-D’Estaing. Ce moment de liesse marque aussi la fin de la domination stéphanoise. La saison suivante, l’ASSE perd le titre face aux canaris nantais, et se contente seulement de la Coupe de France. Il faut attendre 1981 pour revoir le club du Forez champion de France. Le mojo d’Herbin s’effrite et après une dernière brouille avec Roger Rocher en 1983, il quitte Saint-Etienne.

Ses expériences suivantes sont moins concluantes et Robbie s’éloigne définitivement le monde du foot en 1995. Depuis l’annonce de sa mort lundi, les hommages pleuvent. Le président de la FFF Noël Le Graët salue « une légende à Saint-Étienne et un symbole de notre sport. Son palmarès de joueur et d’entraîneur avec les Verts a marqué les esprits d’une génération de joueurs » tandis que Michel Platini se souvient de « très belles aventures (avec lui, ndlr) dans ce club qui ne ressemble à aucun autre ». Christophe Galtier, qu’Herbin avait lui-même qualifié « d’homme de la reconquête », a modifié le fameux hymne de l’ASSE en « Qui c’est le plus fort ? Évidemment c’était vous ». Enfin, une pétition circule pour qu’une statue soit érigée devant le stade Geoffroy-Guichard

Aurélien Bayard

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